Et
tu n’as pas intérêt à t’écœurer. Là tu n’as que ça et puis on y est, ça va
tourner. Oh ! Peu de temps, pas longtemps, moins de deux minutes. Mais ça,
c’est aussi contrarié. Cette complainte dans le four quand tout est prêt à
éclater. Putain mais cette chose souffre et elle pleure. Tu te dépêches de tout
arrêter. La difficulté à supporter le sifflement est encore plus insurmontable.
Tous les soirs ce même rituel. Tous les soirs des gestes qui ramènent à la
dévastation dont tu ne sais comment et pourquoi elle a eu lieu. Vouloir te
dire que la faute n’incombe à personne d’autre qu’à toi-même. Tu souhaiterais
redire cette enfance avec ton frère quand votre mère préparait un poulet bien
charnu. Allez, ça y est, un deux trois on tire !
Mais
toi enfant tout ratait déjà. Petit os à vœux coincé entre tes doigts graisseux.
En face ton gros frère cette brute. Le truc glisse et t’échappe toujours. Gagnant
le fier aîné avec ses airs dégueulasses. Ressassé le même souhait. Même le jeu
terminé. Je voudrais épouser ma jolie Billie. Je voudrais épouser ma Billie. Elle
est à moi, elle me l’a dit. Si je tire le plus grand petit os à vœux, je gagne !
Je gagne ! Ta mère fatiguée de devoir vous faire du poulet. Ce sera pour
la vie. Pour que ta mère te pardonne, pour que tu pardonnes à ton frère ce
brutal. Ouvre-toi le ventre Etgar. Les veines, juste après. Tu es tout changé
et vieux comme les pierres maintenant. Et tu n’as rien fait. Enfonce ton poing
dans ta gorge et repêche ce petit os qui racle ton œsophage. Tu vas pouvoir
dire que tu l’avais bien en travers ta Billie. Oh tu ne l’as pas perdue ! Elle
est là, toujours là, fidèle. Dans le lit de ton brutal de frère. Comment as-tu
fait ton affaire ? Toi si bel homme si cultivé si charmant. Tranche-toi la
gorge Etgar et sors ce truc. Ça sera toujours moins douloureux que ta
déception, que le supplice de se faire arracher le cœur. Plus supportable qu’écouter
une saucisse tiède et molle pleurer dans ton appareil électroménager. Etgar,
ils te l’ont mâchouillé ces deux-là ton cœur. Pourtant bon bougre, tu ne leur
en veux pas. Parce qu’après des milliers de bréchets tu n’as jamais fait que
tirer le mauvais, le plus court. Ta vie alors fut ainsi : en économie d’amour
et d’ambition pauvre Etgar. Aucune force. Tu dis que le sort choisit. Ta Billie
t’a pris pour un homme trop bête. Retourne vers ce frigidaire. Poses-y tout ton
amour gâché Etgar. Il sera pour une fois bien gardé.
Texte et photo de Sophie Régnier
Texte et photo de Sophie Régnier
Ne
pas écrire pour, mais écrire chez l’autre...
Les vases communicants ?
Tiers Livre et Scriptopolis sont à l’initiative d’un projet de vases
communicants : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un
autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les
invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne
pas écrire pour, mais écrire chez l’autre. Beau programme qui a démarré un
3 juillet entre les deux sites, ainsi qu’entre Liminaire de Pierre Ménard
et Fenêtres / open
space
d’Anne Savelli.
6 commentaires:
Exactement, il y a les nantis du petit os et les pauvres bougres à qui il échappe toujours!
Saucisse tiède et molle versus os de poulet, la vie de famille n'est pas toujours simple ni joyeuse. Mais c'est un vrai plaisir pour moi d'accueillir ici ce texte de Sophie Régnier
Très actuel sur le fond et la forme. Hélas... pour le fond ! :-)
Merci François, plaisir partagé avec l'accueil de vos photos et la promenade/visite que vous nous offrez. Quelle heureuse surprise à sa découverte.
Marilyn : tout (fond et forme) me semblait après écriture tellement désuet et vieillot ;)
Manouche :bien vu...cela pourrait presque être un détournement d'une réplique de western.
Merci à vous trois pour vos commentaires.
Je découvre votre écriture, il y a de la viande.
Effectivement...j'espère au moins ne pas en faire une vraie boucherie.
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